L'armoire à poésie 5/5 ♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡♡
De Jacques Forgeas.
Mise en scène de Denis Malleval
Scénographie et lumière :Camille Dugas
Avec Véronique Boulanger, Baptiste Caillaud et Chloé Stefani.
Illustration musicale : Jean Musy
Costumes : Béatrice Hoareau
Une pièce absolument magnifique. Jacques Forgeas a écrit un texte d'une beauté saisissante. C'est la pièce la plus émouvante qu'il m'ait été donné de voir depuis que je suis critique.
Et l'interprétation est d'un très haut niveau, la mise en scène est admirable : j'ai été ébloui par Chloé Stefani dans le rôle de l'ancienne élève qui va demander des comptes avec son ancien camarade au professeur qui lui a fait découvrir la poésie et lui a donc fait perdre son temps. Chloé Stefani est bouleversante, elle montre une sensibilité à fleur de peau et son jeu est d'une extrême délicatesse, j'étais subjugué par sa maîtrise et les émotions qu'elle transmet au spectateur.
Baptiste Caillaud est formidable lui aussi, sous ses airs bourrus. Véronique Boulanger fait face à ses partenaires avec un aplomb qui sied bien à son rôle d'ancien professeur de Lettres.
La pièce m'a particulièrement touché car l'idée d'instruire le procès de son professeur m'a parfois traversé l'esprit pour d'autres raisons que celles des protagonistes.
L'évocation sensible de la transmission m'a ému aux larmes car elle m'a rappelé le professeur de Lettres qui a le plus compté pour moi, mon amour de la poésie, mes jeunes années. On se projette dans la pièce et on projette ses propres souvenirs quand on écoute ceux des deux protagonistes, on est sensible à leur histoire singulière et universelle à la fois.
On est un peu clivé entre l'empathie qu'on ne peut manquer de ressentir pour les personnages de Jennifer et de Lucas tant ils sont attachants et maladroits et la cause, perdue pour ces élèves, de la poésie défendue avec ferveur par leur ancien professeur. La magie de la poésie, son attrait est au centre de la pièce et c'est un ravissement d'entendre plaider le professeur, de l'entendre dire des poèmes qui ont bercé notre adolescence et nous ont tant fait rêver.
La représentation m'a évoqué la phrase de Montesquieu : 《Je n'ai jamais eu de chagrin qu'une heure de lecture n'ait dissipé》. On peut aussi invoquer Dostoïevski et se demander si vraiment 《Une paire de bottes vaut mieux que tout Pouchkine》, si la poésie n'est pas plus essentielle à la vie, si elle n'est pas plus nécessaire à notre existence.
Cette pièce répond de façon merveilleuse à la question qu'elle pose. Elle donne envie de se replonger dans la poésie ou d'en écrire car comme l'affirme Raymond Queneau : 《Mais d'autres fois, on pleure, on rit en écrivant la poésie, ça a toujours kekchose d'extrême un poème》
Et cette pièce est extrêmement séduisante et subtile tant elle est poétique.
Denis Malleval a su transmettre la beauté du texte de Jacques Forgeas avec un talent admirable, assisté par une équipe talentueuse : les décors, les costumes, les lumières, tout est fabuleux.
Publié le 27 juillet 2023.
À l'Oriflamme.
Photo : Xavier Cantat.